Avec la SEF, de Sylvain Tesson
Michel Peissel, ancien élève d’Harvard et docteur en ethnologie était un aventurier selon notre cœur. Il allait par le monde avec une désinvolture british, une curiosité ardente et une flasque d’alcool dans la poche de son loden. Parfois, nous le croisions dans le VIIe arrondissement de Paris où il invitait de jeunes voyageurs à prendre le thé. Il s’enthousiasmait pour les nouvelles générations de chercheurs, d’écrivains et d’aventuriers et n’accablait jamais son assistance du récit de ses expéditions. Il ne souffrait pas de ce syndrome qui afflige tant de vieux voyageurs : la ratiocination. Il pouvait aussi bien disserter du peuplement de la Russie kiévienne par les navigateurs varègues, de la conduite des hydroglisseurs sur les rapides d’un fleuve, de l’aventure des Vieux-croyants orthodoxes ou de l’expansion de l’art des steppes aux confins du Tibet. Il défendait l’idée que le monde offrait encore bien des secrets à découvrir et il avait lui-même mis au jour des sites archéologiques insoupçonnés en pleine jungle mexicaine. Il écrivait des romans, des études, dessinait fort bien, inventait des machines et tentait toujours de remettre en question les certitudes académiques. Bref, il incarnait cette race d’explorateurs à la jeunesse éternelle. Il est mort en octobre dernier à l’âge de 74 ans et s’il y a un walhalla pour les érudits, nul doute qu’il s’y trouve en ce moment, en train de tirer sur son houka, alangui sur une peau de tigre, en compagnie du capitaine Arséniev, de Paul Peillot et du docteur Hédin.